Tous les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), qu'ils soient spécifiques de la cyclo-oxygénase-2 (les anti-COX-2) ou non, sont associés à une élévation du risque cardiovasculaire et à une élévation de la mortalité, ce risque étant toutefois d'importance variable selon les médicaments, avec une élévation plus faible pour le naproxène, confirme une grande méta-analyse d'études randomisées conduite par des chercheurs suisses.
Depuis le retrait du marché du rofécoxib (Vioxx*, Merck-Sharpe & Dohme) en 2004 en raison de la mise en évidence d'une élévation du risque d'infarctus, le risque cardiovasculaire de tous les anti-COX-2 a été débattu. Puis des études épidémiologiques ont suggéré que contrairement à l'hypothèse d'origine selon laquelle c'est la sélectivité pour la COX-2 qui serait liée au risque, les AINS "classiques", non sélectifs, auraient aussi un risque cardiovasculaire, rappellent Sven Trelle de l'université de Berne et ses collègues dans le British Medical Journal (BMJ).
Toutefois, des incertitudes persistaient. Des méta-analyses n'avaient pu trancher clairement sur l'existence d'un risque pour chaque AINS. Pour pallier ce problème, les chercheurs suisses ont conduit une méta-analyse en réseau d'études randomisées, un système qui permet de faire des comparaisons plus larges. Par exemple, un médicament qui n'a pas été comparé directement à un placebo peut l'être de façon secondaire parce qu'il a été comparé à des médicaments qui eux-mêmes ont été comparés à un placebo.
Cette étude a inclus des données de 31 essais cliniques sur des AINS classiques ou anti-COX-2, sur 116.429 patients, avec 117.218 patients-années de suivi. Ont été évalués les AINS classiques ibuprofène, naproxène et diclofénac et les anti-COX-2 célécoxib (Celebrex*, Pfizer), étoricoxib (Arcoxia*, MSD, lancé en 2010), lumiracoxib (Prexige*, Novartis, non commercialisé en France) et rofécoxib.
Ont été étudiés les risques d'infarctus du myocarde, d'accident vasculaire cérébral (AVC), de décès cardiaque et de décès toutes causes. Tous les médicaments présentaient une élévation d'au moins un des risques.
Pour l'infarctus, le rofécoxib et le lumiracoxib étaient les plus à risque, avec un doublement de la survenue d'infarctus. Ces deux médicaments ne sont pas commercialisés. Mais d'autres produits avaient aussi un risque d'infarctus: le risque était aussi augmenté de 61% par l'ibuprofène et de 35% par le célécoxib.
Pour les AVC, c'était paradoxalement le rofécoxib qui se montrait le plus sûr. Les moins sûrs étaient l'ibuprofène qui multipliait le risque par 3,4, le diclofénac (multiplication par 2,9), puis l'étoricoxib (par 2,7) et le lumiracoxib.
Pour les décès cardiovasculaires, le diclofénac et l'étoricoxib multipliaient par quatre le risque. L'ibuprofène multipliait le risque par 2,4 et le célécoxib par 2,1. De plus, tous les AINS, sélectifs ou non, étaient associés à une élévation du risque de décès toutes causes.
In fine, le risque composite d'infarctus, AVC et décès cardiovasculaire était élevé pour tous les médicaments. L'augmentation la plus modérée, de 22%, concernait le naproxène, suivi du célécoxib (augmentation de 43%), de l'étoricoxib (53%), du diclofénac (60%)... Le médicament qui semblait le plus à risque était l'ibuprofène qui multipliait la probabilité d'une des trois complications par 2,3.
"Bien que des incertitudes persistent, il y a peu de données suggérant qu'un des médicaments étudiés puisse être sûr au niveau cardiovasculaire", commentent les auteurs.
Certes, un certain nombre d'élévations de risque observées n'atteignent pas la significativité statistique, mais cela "ne devrait pas être considéré comme une preuve de l'absence de toxicité cardiovasculaire", estiment-ils. Malgré ces limites, leur étude est suffisamment robuste pour considérer que les risques observés sont bien réels... et sont probablement plus importants dans la population générale, car dans les essais cliniques ce sont toujours des populations très sélectionnées.
Les chercheurs suisses arrivent à la conclusion que globalement, c'est le naproxène qui est le plus sûr -ou le moins à risque- au niveau cardiovasculaire et qu'il pourrait donc être préféré aux autres, particulièrement chez les patients à haut risque cardiovasculaire. Toutefois, ils rappellent que ce médicament a une toxicité digestive qui nécessite fréquemment l'ajout d'un inhibiteur de la pompe à protons (IPP) en prévention. C'est également l'avis de Wayne Ray du service de médecine préventive de Nashville (Tennessee), dans un éditorial.
Les auteurs comme l'éditorialiste concluent sur la difficulté du traitement de la douleur dans les maladies rhumatologiques, car les autres options sont le paracétamol qui est moins efficace et peut avoir une hépatotoxicité, ou les opioïdes qui ont également un risque significatif de complications.
(Source: British Medical Journal, publication en ligne accélérée du 12 janvier)
http://www.bmj.com/content/342/bmj.c7086.full