Pour qui le Naproxcinod est-il dangereux ?
C’est en effet la première question à se poser. On a toujours recherché à qui pourrait bénéficier le Naproxcinod sans souligner le risque du Naproxcinod.
Le risque peut être porté par le patient, les concurrents, l’économie de santé, les autorités de santé, le mode de commercialisation d’une nouvelle molécule mais bien évidemment pour l’actionnaire !
1) Le risque pour le patient. C’est pour le bien du patient que le Naproxcinod a été développé. Les experts de la FDA n’en ont pas été convaincus.
a. Ce qui est rassurant.
i. Aucun expert n’a mis en évidence un nouveau risque attribuable au NO-Naproxène. Le risque du Naproxcinod apparaît donc au maximum identique à celui du Naproxène. Tout au plus ne devrait-on pas l’associer à certain médicament de type Viagra. Le Viagra est-il nécessaire pour le patient arthrosique douloureux qui ne peut satisfaire douloureusement sa dulcinée en quête de soulager son Romeo…
ii. Les études à long terme sur plus d’un an n’ont pas mis en évidence de risque supplémentaire (même s’il s’agit d’une petite série de 400 patients qui est cependant supérieure au minimum exigé).
iii. L’augmentation de la pression artérielle des AINS est maintenant connue et considérée comme un facteur de risque attribué aux AINS. L’augmentation de la pression artérielle est à prendre d’autant plus en considération que les patients sont à risque cardio-vasculaire (étude Danoise). Le Naproxcinod réduit le risque d’élévation de la pression artérielle des AINS d’autant plus que la pression artérielle est élevée et que le patient est traité par un ou deux antiHTA (études 301, 302, 303, 304). La moindre élévation de la pression artérielle est d’autant plus significative que le patient est sous RAS blockers (étude 304). Le bénéfice est retrouvé à court terme, à moyen terme et persiste à long terme portant sur la pression artérielle diastolique et systolique si le patient est hypertendu traité particulièrement sous RAS blockers où le nombre de patients élevant la pression artérielle de plus de 5 mm de Hg (voire 10mm de Hg) est significativement plus élevé.
iv. La moindre élévation de la pression artérielle persiste sur 85% des mesures au cours des 24heures à court et moyen terme (études MAPA)
b. Les points contestables
i. Les patients hypertendus doivent-ils avoir la possibilité d’être sous un AINS ? Ce sont des patients identifiés à risque cardio-vasculaire et il n’existe pas d’étude de mortalité et de morbidité à long terme. L’existence d’un médicament pour cette population augmenterait le nombre de patients sous AINS et orienterait la prescription préférentiellement sur le Naproxcinod. L’importance des ventes « over the counter » permet la distribution de médicaments sans prescription et sans surveillance aux USA. La commercialisation d’un AINS qui assurerait une plus grande sécurité pour le contrôle de la pression artérielle pourrait orienter une plus grande utilisation du Naproxcinod sur cette population à risque. Cette caractéristique pourrait induire une augmentation des patients hypertendus sous AINS (même s’il s’agit du Naproxcinod). En augmentant ce groupe de patients sous Naproxcinod rien n’indique que la mortalité ou la morbidité n’augmenterait pas, le risque pourrait être d’autant plus grand que les patients seraient susceptibles d’acheter le Naproxcinod « over the counter ». L’absence d’étude sur la mortalité et la morbidité ne permet pas d’assurer une sécurité suffisante pour la population. L’organisation des soins aux USA et l’indication d’une prescription sur une population à risque barre ainsi la route au Naproxcinod pour les experts de la FDA.
ii. Les mesures de la pression artérielle avant la prise du comprimé suivant montrent une élévation de la pression artérielle. Ces mesures correspondent à 15% des mesures des études MAPA. Les études montrant un risque potentiel cardio-vasculaire en cas d’augmentation de la pression artérielle sont aussi à confronter à hausse de la pression artérielle induisant une augmentation du risque cardio-vasculaire, même si ces mesures concernent les mesurent en fin de nuit qui sont les plus basses des 24h de mesures. Le risque apparaît sans doute minime mais il est à confronter à un principe de précaution.
c. La FDA avait considéré en 2006 que des études de mortalité et de morbidité n’étaient pas nécessaires. Le changement des directives avec une nécessité d’études longues sur la mortalité et la morbidité pourrait induire une méfiance des laboratoires pour les approbations de la méthodologie des études à la FDA. L’absence de nouveaux effets secondaires liés au Naproxcinod ne peut expliquer un changement dans la méthodologie des études. Par contre la crainte d’une prescription de masse avec possibilité distribution de médicaments sans ordonnances a pu induire une crainte de survenue d’effets cardio-vasculaires des experts, d’autant que le Naproxcinod aurait orienté vers les patients à risque cardio-vasculaire du fait d’une moindre hausse de la pression artérielle.
2) Le risque pour les laboratoires
a. La commercialisation du Naproxcinod aurait fait naître un nouveau concurrent pour le Celebrex. Pfizer aurait bien entendu préféré ne pas voir ce médicament commercialisé voire simplement retardé jusqu’à la perte de son brevet, le temps de longues études.
b. Les laboratoires de génériques auraient pu craindre l’arrivée d’un nouveau concurrent. Seule la prescription de masse permet pour les laboratoires de génériques de faire un profit suffisant. Les génériques représentent 85% des AINS prescrits.
c. Les grands laboratoires américains ne pouvaient voir d’un bon œil l’arrivée d’un nouveau concurrent aux dents longues, ni même les laboratoires non américains qui ont de grandes difficultés à s’implanter aux USA.
3) L’économie de santé
a. Le potentiel de blockbuster du Naproxcinod aurait pu rebuter les acteurs de l’économie de santé. 85% des prescriptions sont des génériques et Nicox axait son marketing sur le marché des prescriptions qui est sur le terrain des génériques. Nicox prétendait pour le Naproxcinod un prix au moins équivalent au Celebrex, Pfizer avec 12% du marché représente un CA de 3.5 milliards$. On voit ainsi l’impact que le Naproxcinod aurait pu avoir. Les 10% de part de marché du Celebrex représente 35% du CA des AINS et correspond essentiellement au marché des ventes « over the counter ».
b. L’apparition d’une NO-molécule sur un marché de masse aurait pu donner d’autres prétentions sur d’autres marchés conquis par les génériques. Les échecs de la recherche développement, la perte de brevet de gros blockbuster, la difficulté de commercialiser un nouveau médicament les a détourné du marché de masse. Les laboratoires sont orientés sur des marchés plus petits et plus rémunérateurs laissant le marché de masse aux génériques.
c. Les médicaments de masse les plus sûrs sont-ils les vieilles molécules ? Les vieilles molécules ont l’avantage d’avoir été beaucoup prescrites permettant d’évaluer les effets secondaires. Les cas rapportés ou les études rétrospectives permettent de mieux évaluer le produit. Les nouveaux médicaments sont soumis à des études aux méthodologies strictes et coûteuses pour des indications limitées. Les études de phase IV permettent de surveiller les effets secondaires. La sécurité du patient est la première exigence du prescripteur pour une efficacité comparable voire simplement admissible. Le marché de masse peut-il encore bénéficier de nouveaux produits ?
4) Le mode de commercialisation
a. L’indication du produit est en lui-même à prendre en considération. L’indication du Naproxcinod pour une population à risque à risque cardio-vasculaire présente l’inconvénient de sélectionner une population avec un risque statistique de mortalité et de morbidité plus élevé à court, moyen terme et long terme.
b. Outre le risque cardio-vasculaire de cette population, ce groupe de patients présente souvent une association de facteurs de risques voire de pathologies. Cette population de plus de 50 ans présente ainsi de multiples sous groupes, obèses, diabétiques, hypercholestérolémiques, tabagiques, sédentaires….Les études du Naproxcinod comportaient 20% de patients diabétiques, 30% de patients obèses ou encore 40 à50% de patients hypertendus.
c. Cette population est souvent polymédicamentée. Les patients bénéficient d’aspirine, anticholestérolémiant, antidiabétique, antiHTA, ou encore traitant une pathologie cardiaque, respiratoire, rénale ou voire hépatocellulaire…les études du Naproxcinod comportaient 20% de patients sous Aspirine.
d. L’utilisation d’un médicament dans une telle population est difficile à étudier.
5) L’indication d’un médicament de confort pour une population à risque.
a. Les principes doivent être respectés. Le prescripteur doit avant tout respecter les contre indications. Le médicament devra toujours être celui qui est accepté par le patient, c’est celui qui permettra de satisfaire au mieux le patient et les contre indications. C’est souvent le moins mauvais traitement qui est prescrit.
b. Le traitement de confort justifie-t-il une prise de risque ? C’est une question cruciale lorsque le traitement de confort est un traitement de la douleur.
c. Est-il tolérable de souffrir ? La douleur augment la perte de capacité fonctionnelle. La douleur et la perte de capacité fonctionnelle augmentent-elles le retentissement sur certaines pathologies (obésité, diabète, sédentarité…) voire le risque cardio-vasculaire ? Doit on mettre en balance le risque augmenté d’une perte de capacité fonctionnelle (difficilement évaluable mais d’un coût certain) avec le risque d’un traitement de la douleur (d’un coût acceptable, apportant un confort de vie exigé, dans une population à risque cardio-vasculaire) ?
d. Peut-on évaluer la douleur. Des échelles de quantification de la douleur existent. La douleur n’est pas perçue de la même manière selon le patient et selon la situation.
e. Quelle explication permet au patient une demande éclairée d’un anti douleur ? Jusqu’à quel point le patient peut-il entrer dans le choix d’un anti-douleur ?
f. Le risque doit être individualisé. Le prescripteur doit donc toujours adapter sa thérapeutique.
g. Ces questions sont primordiales dans la décision patient médecin d’un traitement. La prescription individualisée d’un traitement est réalisée par un médecin. L’achat d’un traitement « over the counter » est réalisé par un patient sur des critères différents. L’interprétation à posteriori de l’indication d’un traitement repose bien souvent sur d’autres critères encore. L’évaluation du bénéfice risque d’un traitement repose essentiellement sur un risque statistique. On comprend la difficulté de la commercialisation d’un anti douleur dans un contexte de morti-morbidité des COX2 mal évaluée avant la commercialisation. Les COX2 ont été presque tous retirés du marché (sauf le Celebrex). Les publications des dernières études des anti douleur sont mises en doute à travers la probité des auteurs. Ce qui ajoute encore à la difficulté d’évaluation de critères objectifs de molécules de référence.
La commercialisation d’un médicament de la douleur doit prendre en compte ces différents paramètres et définir les critères qui permettent la sécurité optimale du patient pour prescription et la prise en compte des principes de précautions que l’on pourra identifier à posteriori, de manière juridique y compris.
Le NO-Naproxène est considéré comme une nouvelle molécule. Les études n’ont pas mis en évidence de nouveaux effets secondaires par rapport au Naproxène. Le NO a de multiples propriétés mais seule, la pression artérielle a été étudiée. Les AINS élèvent la pression artérielle. L’adjonction du NO au Naproxène permet de limiter cet effet secondaire d’autant plus que le patient est hypertendu traité avec un ou 2 antiHTA particulièrement avec des RAS bockers. Plus largement l’action du NO sur la pression artérielle pourrait être un reflet de l’action du NO, d’autres propriétés existent et ne sont pas évaluées dans les études de Nicox (effet anti plaquettaire, limitant la multiplication des cellules endothéliales, néovascularisation voire effet indirecte par un meilleur contrôle de la glycémie…). La libération du NO se fait au long des 24heures, cependant l’effet du NO sur la pression artérielle semble s’estomper 2heures avant la prise du comprimé suivant. La moindre élévation de la pression artérielle des patients sous Naproxcinod pourrait être considérée simplement comme un marqueur de l’action du NO, d’autres actions bénéfiques en particulier cardio-vasculaire pourrait être attendues et ainsi limiter d’autant plus les risques de mortalité et de morbidité des patients sous AINS. Cette hypothèse ne peut être prise en compte si elle n’est pas démontrée. Les effets sur la mortalité et la morbidité peuvent être pris au mieux en compte dans la situation réelle de prescription dans une étude de phase IV. La possibilité de prescription de masse du Naproxcinod limite la possibilité de connaître les résultats d’une telle étude avant l’utilisation chez un grand nombre de patients, repoussant par ce fait le principe de précaution.
Les possibilités de marketing de Nicox aux USA ont été supprimées limitant d’autant la possibilité rapide de prescription masse, favorisant un partenariat avec un laboratoire américain. L’impossibilité de prescription voire le simple retard de commercialisation a permis à Pfizer de maximaliser le CA du Celebrex avant de tomber dans le domaine publique. L’échec de développement d’un nouvel AINS par Pfizer en fait par ailleurs un partenaire possible pour Nicox, ayant l’avantage sur Merck d’être au capital.
Les études du Naproxcinod n’ont pas changé, pourtant aujourd’hui Nicox va faire appel de la décision des experts de la FDA. Une négociation pour une commercialisation avant 2014 pourrait peut être envisagée avant la prolongation éventuelle de 5 ans du brevet au vu des résultats de phase IV.
La demande de commercialisation en Europe ne s’est pas accompagnée d’un marketing intensif. Un partenariat a été signé avec Ferrer, petit laboratoire, dont la puissance de vente est limitée. La commercialisation du Naproxcinod en Europe permettrait d’exploiter le brevet durant 10 ans.
A la différence de sa demande d’autorisation de mise sur le marché, Nicox fait un profil de marketing très limité avec une prétention limitée annonçant la possibilité d’indication restreinte.
La possibilité de commercialisation en Europe est évaluée à 10% et de 0% aux USA où elle a été refusée. Nicox n’investit pas dans la force de vente d’une commercialisation du Naproxcinod au même titre que les investisseurs qui n’investissent pas dans Nicox, devenus très prudents.
Les patients douloureux arthrosiques doivent se satisfaire des antalgiques de palier 1 (Paracétamol) souvent insuffisants pour passer aux antalgiques de paliers 2 aux effets secondaires, peut-être sous estimés par les médecins, mais toujours par les patients qui font appels aux dérivés du Paracetamol codeinés ou morphinomimétiques faibles (Tradamol). Les AINS sont considérés antalgiques de palier 1 mais sont plus efficaces sur les douleurs arthrosiques que le Paracétamol.
Un médicament est toujours dangereux. Le groupe de patients pour lequel un médicament est dangereux est plus ou moins important ou plus ou moins identifié. Seule l’étude de phase IV encadrée permet d’évaluer objectivement un médicament sur la population cible. Nous saurons bientôt si le Naproxcinod est dangereux, sinon pour qui, au moins s’il peut prétendre au statut de médicament toujours à risque ou s’il doit être oublié dans les molécules prétendues à risque potentiel.