L’investisseur, cet « animal » affamé
L’investisseur − ou gérant − est un « animal » affamé au sens propre. Il existe en effet des parallèles saisissants entre la gestion de portefeuille et la quête de nourriture (1) : imitation et comportements moutonniers, aversion aux pertes, diversification, migration… Soit la rencontre improbable de Harry Markowitz, le père de la théorie moderne du portefeuille, et de Charles Darwin, le théoricien de l’évolution de l’espèce.
Confrontés à un environnement incertain et complexe, humains et animaux recourent finalement à des méthodes assez similaires pour satisfaire leurs besoins, subsistance ou argent. Des méthodes affinées au cours du temps avec l’expérience et l’apprentissage.
« Les comportements des investisseurs ressemblent à ceux des animaux car, comme eux, ils ont recours à des stratégies qui se sont adaptées à l’évolution d’un environnement peu prévisible et complexe. Les premiers sont ainsi dans un état d’ignorance à l’égard de leurs placements futurs proche de celui des seconds à l’égard de leurs sources de subsistance », souligne l’auteur de l’article, Robert A. Olsen, de l’université d’Etat de Californie.
D’ailleurs, dans une parabole (lire mon post au-dessus) restée célèbre, Ralph Wanger, le fameux gestionnaire américain, a comparé les gérants à un troupeau de zèbres qui doivent arbitrer en permanence entre leur alimentation et leur protection contre les fauves. Mais si le gérant semble disposer de « gènes d’investissement », il est aussi un pur produit de sa culture.
Aversion aux pertes
Les animaux cherchent leur subsistance en intégrant des raisonnements du type rapport coût bénéfice attendu. Aussi explorent- ils avant tout les lieux où ils obtiennent le maximum de nourriture en minimisant leurs efforts et le temps passé. Entre deux pâturages offrant la même quantité moyenne de nourriture, ils privilégieront celui où sa dispersion est la plus faible, comme un investisseur choisirait, entre deux actifs à rendement équivalent, celui dont la variance est la plus réduite. Lorsque les deux champs offrent encore une même quantité nutritive mais que celle-ci est inférieure à leurs besoins, ils se dirigent alors vers celui qui a la plus forte dispersion d’aliments : ils adoptent alors un comportement plus aventureux quand l’exige la situation. C’est exactement ce qui se produit dans la gestion. Exemple : quand ils sont dos au mur, avec des performances inférieures à celles de leurs indices de référence, les gestionnaires ont tendance à accroître leur prise de risque pour recoller au peloton. Un penchant particulièrement prononcé chez les jeunes professionnels.
Diversification
Dans un contexte de disette, les animaux sont prêts à certaines entorses à leur régime alimentaire. Leur menu s’élargit sous l’effet des contraintes. Confrontés à une baisse des rendements sur certaines classes d’actifs (actions, obligations…), les investisseurs sont pareillement en quête de diversification.
Les animaux préfèrent aussi chercher leur nourriture dans les lieux qu’ils connaissent et qu’ils ont déjà fréquentés. Une inclination naturelle vers le proche, le familier et le connu qui ne sont pas sans évoquer les biais de « proximité » dans les placements des investisseurs. Ces derniers ont, par exemple, tendance à privilégier plus qu’ils ne le devraient, selon une pure logique de répartition de leurs risques, les titres de leur pays, de leur zone ou de leur marché. Ils s’estiment, à tort ou à raison, mieux à même de comprendre et d’analyser les sociétés dont ils se sentent proches géographiquement, culturellement…
Imitation
Les comportements moutonniers sont perçus négativement comme un signe d’irrationalité ou d’inintelligence alors qu’ils correspondent en réalité à une forme d’apprentissage et de connaissance millénaire. L’imitation de leurs congénères est une attitude parfaitement rationnelle et pertinente pour tous les primates afin d’apprendre à chasser, à se défendre… Les nombreuses études sur le sujet témoignent du caractère universel du mimétisme chez les investisseurs, petits ou grands. Par exemple, les plus jeunes des gestionnaires ne sont pas vraiment incités à «sortir du troupeau». Ils ne souhaitent pas risquer, dès leurs débuts, d’enregistrer des contre-performances qui les suivront ensuite durant le reste de leur carrière. Avec le temps et l’expérience, leur talent de chasseur ira s’exercer sur un terrain plus vaste mais plus dangereux.
Migration
Les migrations de troupeaux vers des terres plus riches et plus accueillantes
peuvent être comparées aux mouvements de changement et de réallocation d’actifs où les investisseurs, progressivement, modifient la composition de leur portefeuille à une certaine phase des cycles boursiers et financiers. Comme dans le monde animal, ces mouvements ont des leaders naturels qui impulsent les tendances. Il peut s’agir de fonds emblématiques comme le géant CalPERS, plus grand fonds de pension américain, dont les décisions sont, sinon suivies ou imitées, du moins très écoutées par toute la communauté financière.
En règle générale, les migrations se produisent lors des périodes de changement climatique et lorsque la quantité de nourriture n’est plus suffisante pour le renouvellement de l’espèce. Dans le monde de l’investissement, c’est un changement important de l’environnement (crise, bulle…) qui conduit les investisseurs à fuir des marchés trop sinistrés ou trop encombrés par leurs congénères, en tout cas plus assez « nutritifs ». D’où une quête de nouvelles sources de profit. Sur les marchés mêmes, des mouvements saisonniers dans les cours sont d’ailleurs observés depuis longtemps, qui gardent encore pour certains une grande part de leur mystère.
NESSIM AÏT-KACIMI
(1) « Animal Foraging and Investor’s Portfolios : Why the Decision Similarity ?»,
« The Journal of Investing »,
Extrait page 30 des Echos du 4 mai 2009